De même qu’on ne parle pas le français de la même façon dans les différentes régions de France, les langues patrimoniales de ces régions, comme par exemple la langue d’oc en Provence, ont toujours connu, dans leur usage parlé, de multiples variations d’une vallée à l’autre, d’une commune à l’autre.
Cette diversité, qui n’exclut pas l’unité, mais au contraire la fonde et la légitime, c’est la réalité et la richesse de ces langues dites «régionales», qu’il est important de connaître et de comprendre. Dès la fin du XIXe siècle, des chercheurs sont allés à l’écoute de ces parlers, créant une discipline nouvelle, la « dialectologie » et dessinant une cartographie générale de la France sous le titre Atlas linguistique de la France (1902-1910) – avant que le CNRS ne reprenne et coordonne cette recherche région par région, pour publier un Nouvel atlas linguistique et ethnographique de la France. C’est la seule entreprise d’envergure dans le domaine des sciences humaines, qui prend en compte l’ensemble des anciens parlers de notre pays, relevés dans plusieurs centaines de communes et pour des milliers de formes orales.
L’atlas linguistique de la Provence, pour lequel les enquêtes ont été menées pendant 30 ans, donne, comme une vue aérienne, un «instantané» de l’état de ces parlers de la langue d’oc orientale, entre 1960 et 1990, sans chercher à en reconstituer les anciennes couches oubliées ni restaurer un état de langue « pure ». Aux trois volumes déjà publiés par le CNRS en 1975, 1979 et 1986 (qui totalisent déjà 1000 cartes, et aujourd’hui épuisés), Alpes de Lumière, association attachée depuis 60 ans à l’étude du patrimoine immatériel de la Provence (dont la langue est un élément majeur), ajoute ce volume IV qui complète la collection et éclaire la répartition des parlers provençaux entre Alpes et Méditerranée.
Ce volume est articulé en 10 chapitres :
- Maison
- Mobilier
- Cuisine et ménage
- Vêtements et lessive
- Famille
- Naissance, enfance
- Maladie et mort
- Corps humain
- Religion
- Vie sociale
Les atlas linguistiques ont été, depuis leur création, au tout début du XXe siècle, des ouvrages difficiles d’accès, tant par leur format que par leur conception qui les destinait d’abord – et presque exclusivement – à la communauté scientifique. Le Nouvel atlas linguistique de la France, publié par régions mais avec le CNRS comme unique éditeur, même s’il a introduit quelques données ethnographiques, n’échappe pas à cette règle.
« Alpes de Lumière », a voulu inscrire ce quatrième volume de l’Atlas linguistique de la Provence, dans la ligne éditoriale de toutes ses publications : mettre à la portée du plus large public, aussi bien les recherches des universitaires, que les savoirs des anciens, détenteurs de la mémoire de nos terroirs. L’atlas linguistique se trouve précisément au croisement de ces deux types de connaissance : il est d’abord le fruit des innombrables heures d’entretiens sur la langue des gens ordinaires, telle qu’ils l’avaient parlée (et la parlent parfois encore) et dont eux seuls connaissent bien les variétés locales ; il donne ensuite, dans les commentaires des cartes ainsi dressées grâce à leur mémoire, la connaissance du linguiste, rompu non seulement à l’étude des dialectes (la dialectologie) dans leur réalité contemporaine – linguistique et culturelle – et dans leur histoire.
Cette investigation au coeur des villages, la richesse et la variété de ce qu’elle a fait émerger, montre à l’évidence des cette langue d’oc est encore bien présente dans les mentalités, sinon dans l’usage et qu’elle pourrait bien retrouver, comme le souligne Philippe Martel, professeur émérite de l’Université Paul-Valéry à Montpellier, « sa fonction fondamentale : dire le monde avec les mots d’ici ».
Cartographie : Guylaine Brun-Trigaud.
Cet atlas linguistique de Provence historique propose, à l’aide de nombreuses cartes, d’indiquer comment on dit ceci ou cela en occitan, ici et là. Ainsi le lecteur chemine de vallée en vallée pour se rendre compte que la notion de « variétés dialectales » n’est pas si opérante que cela : le « ch » ne remplace ainsi pas le « k » aussi simplement quand on monte vers le nord de la région. Ce travail a commencé par des collectages d’étudiants et de passionnés au cours des années 1980. Ainsi les manières de dire ont été recueillies tant qu’il y avait encore de nombreux locuteurs naturels dans notre région. Le résultat peut aider quiconque a l’intention de parler ou écrire occitan en marchant sur les pas des anciens. Œuvre de linguiste, bien sûr, de socio-linguiste et d’historien comme de géographe certainement.